La directive sur le devoir de vigilance, qui avait été adoptée l’an dernier par le Parlement européen, semble avoir du plomb dans l’aile, du moins dans sa forme actuelle. La France a ainsi officiellement demandé, vendredi 24 janvier, sa suspension. « Nos entreprises ont besoin de simplification, pas d’alourdissement administratif supplémentaire », a justifié sur X le ministre délégué français chargé de l’Europe, Benjamin Haddad.
Cette directive s’inspire largement de la loi française sur le devoir de vigilance, promulguée en 2017. Elle impose aux entreprises de veiller au respect de l’environnement et des droits humains dans toutes leurs chaînes de production à travers le monde, c’est-à-dire y compris dans leurs filiales mais aussi leurs fournisseurs et leurs sous-traitants. La première mise en application était prévue en juillet 2027, pour 6 000 entreprises (celles ayant plus de 5 000 employés et un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros), avant une généralisation en 2029.
Cette suspension réclamée par la France, qui rejoint ainsi l’Allemagne, a suscité une avalanche de réactions négatives de la part des ONG. « Cette prise de position, irresponsable, risque de précipiter le détricotage d’un texte nécessaire face à la crise climatique et sociale», affirme dans un communiqué commun les Amis de la terre, Oxfam et Reclaim Finance.
Oppositions patronales
Cette directive suscitait une forte opposition des milieux patronaux, déjà vent debout contre la mise en œuvre de la directive CSRD, en vigueur depuis le 1er janvier pour les grands groupes avant son extension à toutes les entreprises cotées en 2027. Il s’agit d’une sorte de comptabilité verte, imposant aux entreprises d’harmoniser à l’échelle européenne leurs données de « durabilité », en matière environnementale, sociale et de gouvernance.
Elle aussi est loin de faire l’unanimité au sein de l’UE, puisque 17 pays sur 27, dont l’Allemagne, ne l’ont pas transposé dans leur droit national. Au point que la Commission a lancé contre eux des procédures d’infraction. Sans effet à ce jour.
La France rejoint désormais les réfractaires en demandant également de « revoir » cette directive CSRD. Dans sa forme actuelle, elle représente des « coûts considérables » et « un enfer » pour les entreprises, estimait la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, à la sortie du conseil des ministres, mercredi 22 janvier. « Je crois que l’Union européenne dans son ensemble s’est aperçue que c’était allé trop loin», ajoutait-elle. En novembre, le directeur général de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé, avait même qualifié cette réglementation de « délire bureaucratique ».
Les questions de compétitivité prennent le dessus
Sur tous ces sujets, le vent semble en effet avoir tourné en Europe, avec le retour sur le devant de la scène des questions de réindustrialisation et la crainte d’un déclassement, vis-à-vis des États-Unis mais aussi de la Chine. En septembre, Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), avait tiré le signal d’alarme dans un rapport très remarqué. Selon lui, les lourdeurs réglementaires figurent parmi les facteurs majeurs de la perte de compétitivité de l’UE.
« Les pouvoirs publics ont commencé à prendre peur, quand ils se sont rendu compte que des grandes entreprises européennes ne répondaient plus à certains marchés à l’international, parce qu’elles n’étaient pas certaines à 100 % de contrôler les pratiques de leurs sous-traitants, malgré tous leurs efforts», raconte un patron du CAC 40, en fustigeant « les milliers de cases à remplir pour répondre aux critères, qui enrichissent les cabinets de conseil». « Nous sommes engagés dans la décarbonation de nos procédés, mais la CSRD nous oblige à dévoiler nos secrets industriels à nos concurrents », déplore de son côté un cimentier.
La Commission prépare « un choc de simplification »
Aujourd’hui, la nouvelle Commission semble prête à lâcher du lest, avec la présentation le 26 février « d’un choc de simplification massif », selon la formule de Stéphane Séjourné, le vice-président de la Commission européenne, chargé de la stratégie industrielle.
« Il est réducteur de voir ces directives uniquement sous l’angle du fardeau. L’idée est de modifier structurellement la façon dont fonctionnent les entreprises en prenant mieux en compte les dimensions sociales et environnementales, juge Ivan Terel, avocat au sein du cabinet GKA & associés. C’est un sacré retour en arrière qui, au final va pénaliser les entreprises les plus vertueuses.» Reste à voir de quelle manière ces directives pourraient être amendées et avec quel calendrier.

